Le grand méchant loup (1/3)
J’ai toujours pensé qu’un jour, je serai au chômage. Il faut dire que les gens de ma génération en ont toujours entendu parler, du chômage. C’est notre grand méchant loup à nous. Le chômage par-ci, le chômage par-là, le chômage chez les jeunes, les diplômes qui ne donnent plus de travail, ya plus de boulot et patati et patata… Et on ne parlait pas encore de délocalisation à l’époque. Du coup, c’était sur, un jour, je serai au chômage.
D’ailleurs, pendant longtemps, je ne savais absolument pas ce que je voulais faire comme métier. J’avais sous les yeux l’exemple de mes parents : ouvrier, un salaire de misère pour des conditions de travail très médiocres et nounou, métier d’appoint qui ne permet pas de vivre. Mouais, bof, rien d’exaltant.
Je connaissais les traditionnels médecin, infirmière, pharmacien, pompier, mais là, c’était hors de question puisque je ne supporte pas la vue du sang.
Dans la catégorie police-gendarmerie, le côté Sherlock Holmes et sa loupe en train de recouper des indices afin de confondre l’infâme criminel me semblait très intéressant ! Mais flingue, drogue, fusillade, bain de sang, et toute la glauquerie habituelle, non merci. Bref, le romanesque oui, la réalité, très peu pour moi.
En dehors de ça, que reste-t-il ? Tout ce qui a trait au commerce me dégoûte. Pour moi, vendeur est un synonyme de menteur. Ethiquement parlant, je ne pouvais pas me le permettre.
Quel casse-tête ! Plus, j’avançais en âge et plus les gens me posaient la question :
“Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ?”.
“Euh… Je ne sais pas…”
“Ah bon. Ce n’est pas grave mais il faut se décider vite pour mettre toutes les chances de ton côté et ne pas te retrouver au chômage.”
Ah tiens, je l’avais presque oublié celui-là. Non, je rigole. Il ne m’a pas quitté un seul instant. L’angoisse face à l’avenir m’a toujours habitée, mais c’est peut-être une caractéristique commune à toute personne en période d’adolescence…
“Attention S., si tu ne te décides pas vite, tu seras au chômage, hin hin hin” me disait le vilain spectre du chômage à travers la voix du grand-père, d’une tante, du professeur principal, ou du conseiller d’orientation.
“Qu’est-ce que ça peut me faire vu que de toute façon, je serai au chômage quoi qu’il arrive ? ” répondais-je en moi-même tout bas, sans le dire mais en y croyant dur comme fer.
Heureusement pour moi, j’aimais l’école. Elle représentait pour moi un moment de récréation étant donné que je m’ennuyais mortellement à la maison. Et puis, comme je n’y étais pas trop mauvaise, j’y passais généralement de bons moments. J’irais même plus loin : l’école était peut-être le seul lieu où je passais de bons moments. Du coup, l’addition de ce bonheur scolaire et de la peur du grand méchant loup m’ont fait regretter de ne pouvoir y passer toute ma vie.
Ah ! Si seulement je pouvais rester à l’école toute ma vie !